Avec 126 euros en poche et son vélo, Bill Clintone Linyelela a traversé les montagnes, les déserts et les frontières pour rejoindre son amoureuse en Éthiopie. Il était prêt à tout, et son voyage ne s’est pas tout à fait passé comme prévu. Un périple enivrant, qui fait partie du dossier À nos amours ! que publie Courrier International en cette fin d’année.
Un VTT Talon 29 pouces noir, de marque Giant, un peu d’argent, en partie donné par des amis, et un tourbillon d’amour dans la tête : voilà tout ce qu’il a fallu à Bill Clintone Linyelela, 27 ans, pour parcourir les 2 201 kilomètres qui séparent Nairobi de Mekele, dans la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie.
Le 30 août, peu avant l’aube, n’emportant que son smartphone, équipé de l’application sportive Strava, ce cycliste solitaire s’est lancé dans un voyage à marche forcée. Un voyage de seize jours qui allait mettre son courage à très rude épreuve et dont il sortirait avec quelques égratignures. Un voyage qu’il fut à deux doigts d’abandonner, quand l’idée de rentrer chez lui semblait être le choix le plus raisonnable, et qu’il finirait de manière assez inattendue, en larmes.
L’idée de cette expédition lui est venue voilà deux ans. Le 27 février 2018, jour de son anniversaire, Bill est allé s’acheter un cadeau dans le centre-ville de Nairobi. Il était occupé à farfouiller dans les stands de vêtements de la Biashara Street lorsqu’il la vit pour la première fois.
Merry était la fille la plus magnifique que j’avais jamais vue. Je lui ai dit ‘salut’. Elle m’a fait le sourire le plus enchanteur et m’a répondu ‘salut’. J’ai un peu discuté avec elle, puis je lui ai demandé son numéro. Elle me l’a donné, et j’en ai presque oublié ce que j’étais venu faire là.”
Merry Kidane Asgedom, médecin, éthiopienne, effectuait un court séjour au Kenya. Elle a dû repartir en Éthiopie quelques jours plus tard. Mais au fil des jours et des mois, leur amitié naissante s’est transformée en histoire d’amour à distance. Depuis, Bill lui a rendu visite deux fois en Éthiopie ; Merry est venue le voir deux fois à Nairobi. Et elle comptait bien le présenter à sa mère le 14 avril – un grand pas en avant qui, aux yeux de son bien-aimé, allait catapulter leur relation à un autre niveau. Mais le coronavirus est arrivé, et la vie telle que nous la connaissions s’est soudain arrêtée.
Merry avait posé des jours de congé et j’avais réservé mon billet d’avion, raconte Bill. Mais le Kenya a été partiellement confiné et les déplacements limités. Je ne pouvais plus prendre mon avion pour l’Éthiopie.”
“Ils m’ont pris pour un fou”
Bill ne tenait pas en place. Quatre mois plus tard, en août, l’espace aérien avait rouvert, mais entre-temps il avait dû fermer son restaurant du quartier de Parklands, à Nairobi, à cause des mesures sanitaires liées au Covid-19. Ses finances étaient au plus bas et il ne pouvait plus se payer de billet d’avion. Qu’importe, il irait coûte que coûte en Éthiopie. Et il a commencé à se dire que ce serait peut-être son vélo qui le conduirait jusqu’à sa petite amie.
À un moment, mes finances étaient tellement basses que je ne pouvais même plus appeler Merry. Je n’arrivais plus à payer mon loyer dans les temps. Alors, un soir, je lui ai téléphoné et je lui ai dit que je n’appellerais plus avant d’avoir trouvé de l’argent”, se souvient-il.
Le lendemain, il a reçu 300 shillings [2,30 euros] d’un collègue de Merry, en Éthiopie. “J’étais sidéré. J’ai tout dépensé pour l’appeler”, poursuit Bill, statisticien de métier. “Ce coup de fil n’a fait qu’attiser le besoin de la prendre dans mes bras. C’est ce petit rien qui m’a finalement décidé.”
Sur WhatsApp, il a demandé à des amis ce qu’ils pensaient de son idée de partir à bicyclette pour l’Éthiopie.
Les trois quarts de mes amis m’ont pris pour un fou. Pour des raisons variées : la pandémie faisait toujours rage